La France reconnaît enfin qu’il y a un grave problème de démocratie dans la
zone euro et que, sans « légitimité renforcée », elle
risque d’être rejetée par les citoyens. Dans la contribution qu’ils ont
présentée jeudi 30 mai, François Hollande et Angela Merkel affirment, en effet,
vouloir remédier à ce qui apparaît de plus en plus comme une « autocratie
postdémocratique », selon l’expression de Jürgen Habermas (dans « La
constitution de l’Europe »), les décisions du Conseil européen des chefs d’État
et de gouvernement et de l’Eurogroupe, prises sur proposition d’une Commission
nommée par les États, n’étant contrôlées par aucun parlement. Ils demandent
donc que le Parlement européen mette en place en son sein, à l’issue des
prochaines élections de mai 2014, « des structures dédiées
spécifiques à la zone euro » « afin de garantir un contrôle
démocratique et une légitimité appropriés du processus décisionnel
européen ». Et, dans les domaines relevant des compétences
souveraines (comme les retraites ou la sécurité sociale), mais qui nécessitent
une coordination au niveau de la zone euro, « le contrôle
démocratique, la légitimité et l’appropriation (devront) être assurés au niveau
national » et « des procédures adéquates (devront)
être élaborées pour y veiller ».
Il est loin le temps où Nicolas Sarkozy, interrogé en privé sur l’absence
de démocratie, me répondait : « comment ça, pas de
démocratie ? Mais la démocratie, c’est moi. Si les Français ne sont pas
contents de mon action, ils sont libres de ne pas me réélire »… Comme
si la présidentielle épuisait la question démocratique. Les Allemands, toutes
tendances politiques confondues, en ont conscience depuis longtemps : dès
la négociation du traité de Maastricht, Helmut Kohl avait demandé à ce qu’une
« union politique » accompagne l’union économique et monétaire. Ce
que François Mitterrand avait refusé. Ce n’est que sur l’insistance de Berlin
que des pouvoirs ont été petit à petit accordés au Parlement européen :
trois traités plus tard, il est quasiment sur le même plan que le Conseil des
ministres en matière législative.
Mais il n’a toujours strictement aucun pouvoir pour contrôler ce qui se
décide au sein de la zone euro, comme on l’a vu au moment de la crise
chypriote. Selon Sylvie Goulard, députée européenne Modem et coauteur, avec
Mario Monti, « De la démocratie en Europe », « si le
premier plan, qui prévoyait de mettre à contribution l’ensemble des comptes
bancaires de l’île, avait été discuté par le Parlement européen, nul doute
qu’il aurait été rejeté ». De même, si le Parlement a adopté le
« six pack » et le « two pack », qui renforcent les
pouvoirs de la Commission en matière de contrôle des politiques économiques et
budgétaires nationales, son pouvoir s’est arrêté là : par exemple, il n’a
pas son mot à dire sur les « recommandations » que l’exécutif
européen vient d’adresser aux vingt-sept Etats-membres, pas plus qu’il ne peut
influer sur la définition de la politique économique de l’Union. Olli Rehn, le
commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, ou Jeroen
Dijsselbloem, le patron de l’Eurogroupe, n’ont de compte à rendre à personne et
ne peuvent être renversés par personne…
Le fameux « saut fédéral » n’est en réalité rien d’autre qu’un
saut démocratique et non la constitution d’un super État centralisé à la mode
jacobine. L’idée est non pas de donner davantage de compétences à l’Union ou à
la zone euro, qui en a déjà beaucoup, mais d’instaurer à chaque niveau de
pouvoir un contrôle démocratique ad hoc. Si les Français l’ont toujours refusé,
c’est pour deux raisons : d’une part une méfiance ancrée à l’égard du
parlementarisme, d’autre part une crainte de voir le contrôle de l’Union leur
échapper. En effet, si un État peut toujours bloquer une décision dans un
système intergouvernemental où l’unanimité est la règle et donc donner
l’impression qu’il est maître du système, ce n’est plus (ou moins) le cas dans
un système communautaire. Surtout, dans une
fédération parlementaire, le roi est nu : le chef de l’État ne peut plus
dissimuler qu’il n’est qu’une partie d’un système plus large…
Si les Allemands sont habitués au fédéralisme (à
chaque niveau de pouvoir, ses compétences et son contrôle démocratique), ce
n’est pas le cas des Français persuadés que le Président de la République peut
tout (d’où l’effondrement de plus en plus rapide de sa côte de popularité,
l’Europe et la mondialisation contraignant de plus en plus son action). Mais François Hollande
semble décidé à en finir avec les vieilles lunes françaises de la souveraineté
formelle, comme le montre la contribution franco-allemande présentée jeudi. Ce
n’est pas une surprise : le chef de l’État avait annoncé, lors de sa
conférence de presse du 16 mai, qu’il voulait une « union
politique » d’ici à deux ans. C’est d’autant plus nécessaire si,
comme le souhaite la France, l’on veut à terme instaurer une solidarité
financière entre les États membres : il est, en effet, hors de question,
pour Berlin, que les citoyens ne puissent contrôler l’utilisation de l’argent
public, qu’un pouvoir politique les engage sans qu’ils puissent peser sur le
processus décisionnel. « No taxation
without representation », en résumé.
Si le diagnostic est simple à poser, le traitement
l’est beaucoup moins. Car les institutions européennes sont conçues pour
vingt-sept (et bientôt vingt-huit) pays et non pas pour la seule zone euro
(dix-sept pays, bientôt dix-huit). Ainsi, est-il admissible qu’une Commission
composée d’un représentant par État membre (à la suite du référendum Irlandais
sur Lisbonne, l’idée d’une Commission resserrée a été abandonnée –le traité a
été modifié en catimini lors du Conseil européen du 22 mai dernier) se prononce
à la majorité simple sur la situation budgétaire d’un État de la zone
euro ? Quelle est la légitimité d’un commissaire britannique ou suédois,
qui peut faire basculer une majorité, dans des matières qui ne les regardent
absolument pas ? Tant que la Commission dépendra aussi étroitement des
États, la nationalité de ses membres gardera toute son importance. De même, le
Parlement européen est composé d’élus de l’ensemble des États : au nom de
quel principe les députés britanniques, suédois, tchèques (et pas slovaques
comme mon clavier a d'abord fourché ;-)), danois, roumains, etc., auraient-ils
un quelconque droit de regard sur les affaires de la zone euro ? Il faut
ainsi savoir que la commission des affaires économiques et monétaires du
Parlement est actuellement présidée par une Britannique… L’élaboration des
politiques et leur contrôle doivent être réservés aux seuls membres de la zone
euro, c’est de bonne démocratie.
Le couple franco-allemand s’attaque, pour l’instant, au seul Parlement
européen en lui demandant de créer en son sein une commission parlementaire ad
hoc composée des seuls nationaux de la zone euro qui sera chargée de se
prononcer sur les décisions de l’Eurogroupe. Mais un contrôle par l’ensemble
des élus nécessitera une modification des traités prévoyant que seuls les
députés de la zone euro disposeront d’un droit de vote pour les affaires qui
les concernent. Pour la Commission, la solution pourrait être la même. À moins
que l’on donne au président de la Commission, qui devra être élu par le Parlement,
le droit de composer son exécutif comme il l’entend. Dans ce cas, qu’il compte
un Britannique ou un Suédois importera peu : le lien entre les
commissaires et les États aura été rompu et ceux-ci représenteront bien le seul
intérêt général européen (après tout le futur président de la Banque centrale
d’Angleterre est un Canadien). Mais cela nécessitera aussi un changement des
traités, ce qui fait très peur à François Hollande toujours traumatisé par le
référendum de 2005 sur lequel s’était déchiré le parti socialiste.
Les Français et les Allemands ont commencé à travailler sur l’architecture
de cette future union politique de la zone euro en décembre dernier, en
compagnie des Polonais, ceux-ci ayant vocation à jouer un rôle important dans
l’Europe de demain.« Le système que nous devons bâtir sera forcément
complexe, car il faut trouver le moyen de discuter au niveau européen de
compétences qui resteront nationales sans déposséder nos parlements
nationaux », explique-t-on à l’Élysée. « Par exemple, le
régime de retraite ne peut plus être décidé isolément, car il impacte toute la
zone euro. Mais en même temps les parlements nationaux et les partenaires
sociaux doivent, dans l’état actuel de l’Europe, restés maîtres des décisions à
prendre… »
Dans la contribution franco-allemande, on cite
d’ailleurs toute une série de compétences nationales qui devront être discutées
en commun : marché du travail, y compris le salaire minimum (une sacrée
concession allemande), chômage et inclusion sociale, retraite, fiscalité, efficacité
du secteur public, éducation et formation professionnelle… L’articulation entre
les niveaux européens et nationaux n’est donc pas évidente. En tout cas, il est
clair que sur de telles questions, un contrôle démocratique est une absolue
nécessité. Autrement dit, le gouvernement économique de la zone euro sera démocratique
ou ne sera pas.
Côté exécutif, Berlin et Paris veulent qu’il y ait davantage de Conseils
européens des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro (Nicolas Sarkozy
avait déjà obtenu qu’il y en ait deux au minimum) et que l’Eurogroupe se
renforce : ils veulent nommer un président à plein temps et non plus,
comme aujourd’hui, un ministre des finances en exercice, et ce, dès 2015. Pour
l’instant il n’est pas exclu que ce président soit le commissaire chargé des
affaires économiques et monétaires (mais cela pose un problème de séparation
des pouvoirs, le président ne pouvant à la fois proposer en tant que
commissaire et décider en tant que président de l’Eurogroupe) ou le président du
Conseil européen (ce qui pose aussi un problème de confusion avec l’instance
d’arbitrage politique). Mieux, afin de renforcer l’autonomie de la zone euro,
l’Eurogroupe, comme le Conseil des ministres de l’Union, pourra se réunir dans
différentes formations : ministres des Finances, des Affaires sociales, de
la recherche, etc. Dans l’idée franco-allemande, toute cette architecture devra
être prête avant les élections européennes afin de couper l’herbe sous les
pieds des eurosceptiques.
À terme, ce seront donc deux Europe qui cohabiteront dans les instances
communautaires actuelles. Ou plutôt, seuls la Grande-Bretagne, la Suède et le
Danemark resteront durablement dans le second cercle, tous les autres pays
ayant l’intention de rejoindre l’euro…
=Libération=
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