Le bel avenir du Parti social-démocrate allemand
Ernst Hillebrand (Politologue et directeur du département d'analyse
politique internationale de la Fondation Friedriche-Ebert à Berlin)
Malgré sa faiblesse, le Parti
social-démocrate allemand (SPD) reste la clé de voûte de tout projet
progressiste pour l'Allemagne. L'état général de l'Europe est plutôt favorable
à la gauche. Avec la crise financière, l'idéologie néolibérale a perdu de son lustre.
La justice sociale, la régulation des marchés et le contrôle démocratique du
pouvoir de l'argent sont désormais au centre des préoccupations des citoyens. Et pourtant, le SPD traîne encore dans les sondages.
Cette stagnation
est en partie due aux réformes menées par l'ancien chancelier social-démocrate,
Gerhard Schröder. Elles ont provoqué l'affaiblissement de l'image de marque du
parti comme "protecteur" du petit peuple. Les charges fiscales qui
pèsent sur les salaires restent élevées et la richesse des ménages se situe
nettement au-dessous du niveau moyen européen. Autrement dit, l'Allemagne est
riche, pas les Allemands.
CHANGEMENTS DES STRUCTURES SOCIALES
Des problèmes
structurels affectent nos partis en Europe. Les milieux sociaux de l'époque industrielle
se diluent. De nouvelles contradictions autour des questions de l'immigration,
du multiculturalisme et de l'intégration européenne affaiblissent la cohésion
du milieu progressiste : le cosmopolitisme et l'europhilie des élites des
partis ne trouvent guère d'écho dans les couches populaires.
Il n'existe toutefois aucune raison
d'être pessimiste pour le SPD. Le sentiment dominant de la population est plus
social-démocrate qu'auparavant. Les changements
des structures sociales et économiques affectent gauche et droite. La féminisation de la
société et du monde de travail, l'essor des valeurs postmatérialistes combiné à
la libéralisation des mœurs ainsi que le poids montant du vote des citoyens
issus de l'immigration posent de sérieux problèmes à la CDU
(chrétiens-démocrates, parti conservateur), en recul dans tous les centres
urbains.
Le défi à relever pour le SPD consiste à
canaliser ces changements au profit du centre gauche. Il faudrait une narration
politique qui donne une réponse cohérente aux changements économiques, sociaux,
culturels et politiques de notre époque. C'est en économie que la réponse
serait paradoxalement la plus facile : l'évolution positive de notre économie
depuis le gouvernement Schröder a renforcé la crédibilité du parti.
Avec le concept d'une rénovation
écologique de la société industrielle, le SPD a formulé une stratégie de
croissance qui contient d'énormes potentialités économiques et écologiques. Il
s'agit désormais de recombiner cette crédibilité avec une promesse renouvelée
de justice sociale. Ici, la vraie clé ne se trouve pas dans l'augmentation de
la redistribution et des transferts sociaux, mais dans le rééquilibrage de la
distribution des revenus.
Si la part salariale du revenu national
était aujourd'hui au même niveau qu'en 1980, les employés allemands
trouveraient 180 milliards d'euros de plus sur leurs bulletins de salaire : une
poussée énorme pour le pouvoir d'achat, le marché intérieur et les
importations. Finalement, le parti ne pourra pas éviter de moderniser sa conception
de la démocratie.
RÉTABLIR LA CONFIANCE
Aussi, en Allemagne, la légitimité de la
démocratie représentative est en crise. Les citoyens doutent d'autant plus du
degré d'autodétermination que ce système ne leur offre que sa capacité de
contrôler et civiliser les forces du capitalisme financier.
Les sociétés hyperconnectées du XXIe siècle
ne pourront pas être gouvernées avec les institutions du XIXe. Plus
de participation citoyenne, plus de démocratie directe, plus d'informations, de
transparence et de responsabilité administrative seront nécessaires pour
rétablir la confiance des citoyens dans le système démocratique. Et là aussi, la modernisation a commencé.
Contrairement à
ses anciennes positions, le SPD soutient aujourd'hui la création d'un droit constitutionnel
au référendum au niveau national. Au niveau du parti, d'importantes
initiatives ont été prises pour en renforcer la démocratie interne et pour
l'ouvrir aux citoyens. Toutes ces réformes sont faisables. Rien ne demande des
changements révolutionnaires, chose rédhibitoire pour le parti dès sa
naissance.
Le SPD du XXIe siècle ne
sera plus un parti des travailleurs. En réalité, il a cessé de l'être depuis
belle lurette. Mais il restera toujours au centre de la société un espace pour
un parti qui défend les droits et intérêts des employés et des non-privilégiés,
en Allemagne comme dans toute l'Europe.
Le Monde
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