A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Washington et Londres, qui n’avaient eu aucun scrupule à laisser le général Franco liquider la République espagnole, n’en eurent pas plus à faire alliance avec lui. Madrid devint la base arrière de diverses officines criminelles et Las Palmas abrita un centre de formation à la guerre secrète. La dictature ne tenant que par la volonté des Anglo-Saxons, le gouvernement entier était issu du Gladio. A la mort du Caudillo, la transition démocratique fut subordonnée aux maintien des bases US et à l’entrée dans l’OTAN. Le Gladio rentra dans la clandestinité sans pour autant lâcher le pouvoir.
En Espagne, le combat mené par la droite contre les communistes et la gauche ne prit pas l’apparence d’une lutte secrète, mais d’une guerre ouverte et brutale qui dura 3 ans et fit 600 000 victimes au total, soit autant que la guerre de Sécession aux États-Unis. L’historien Victor Kiernan observa assez finement qu’une « armée, censée assurer la sécurité de la nation, peut parfois se comporter comme un chien de garde qui mord ceux placés sous sa protection ». On pourrait penser que cette analyse a été inspirée par les armées secrètes stay-behind. Pourtant, Kiernan décrivait par ces mots le commencement de la guerre civile espagnole qui débuta le 17 juillet 1936, quand un groupe de militaires conjurés tentèrent de s’emparer du pouvoir, il est vrai que « les généraux espagnols ont, comme leurs cousins d’Amérique du Sud, la fâcheuse habitude de se mêler de politique ».
Le coup d’État militaire du général Franco et de ses complices survint après que la gauche réformatrice de Manuel Azada eut remporté les élections du 16 février 1936 et mis en œuvre de nombreux programmes en faveur des franges les plus défavorisées de la société. Cependant, aux yeux de la caste militaire puissante et mal contrôlée, l’Espagne menaçait de tomber entre les mains des socialistes, communistes, anarchistes et autres gauchistes anticléricaux. Dans les rangs de l’armée, beaucoup étaient convaincus de devoir sauver le pays de la menace rouge du communisme qui, dans l’URSS de Staline, entraînait des purges et des assassinats de masse. Certains historiens, dont Kiernan, analysent avec moins d’indulgence les causes de la guerre d’Espagne. Pour eux, « les coupables n’auraient pas pu être plus clairement désignés (...) Le cas de l’Espagne est d’une grande simplicité. Un gouvernement élu démocratiquement fut renversé par l’armée. Pas difficile de choisir son camp. D’un côté les pauvres, de l’autre les fascistes, les puissants, les grands propriétaires terriens et l’Église. »
Alors qu’en 1967, en Grèce, le putsch avait permis aux militaires d’accéder au pouvoir en moins de 24 heures, en 1936, l’opposition de la population civile espagnole fut si massive que la République lutta pendant 3 ans avant que s’installe la dictature militaire de Franco. La bataille fut longue et intense, non seulement parce que de nombreux citoyens prirent les armes contre l’armée mais également parce que 12 Brigades Internationales se formèrent spontanément pour renforcer la résistance républicaine opposée à Franco. Fait unique dans l’histoire de la guerre, de jeunes idéalistes, hommes et femmes, venant de plus de 50 pays, furent volontaires pour rejoindre les Brigades Internationales qui rassemblèrent finalement entre 30 et 40 000 membres. La plupart d’entre eux étaient des ouvriers, mais l’on vit aussi des professeurs, des infirmières, des étudiants et des poètes venir se battre en Espagne. « C’était très important d’être là », commenta 60 ans après les faits Thora Craig, une infirmière britannique née en 1910, « dans ce moment historique, et d’aider. Ce furent les plus importantes années de ma vie. » Robert James Peters, né en 1914 et plâtrier de son état, déclara : « Si j’ai jamais fait quelque chose d’utile dans ma vie, alors c’est certainement cela. »
Malgré le soutien des Brigades Internationales, les socialistes et communistes espagnols ne parvinrent pas à empêcher le coup d’État de Franco car celui-ci bénéficia de l’appui de Mussolini et Hitler et de la décision de ne pas intervenir des gouvernements britannique, français et états-unien. Estimant avoir plus à craindre du communisme espagnol que d’un dictateur fasciste, ils assistèrent en silence à la mort de la République espagnole. Si, dans le contexte des prémices de la Seconde Guerre mondiale, on a beaucoup écrit sur l’échec des Premiers ministres britannique et français Chamberlain et Daladier à stopper Hitler et Mussolini à Munich en septembre 1938, le soutien silencieux de Londres et Paris à l’anticommunisme italien et allemand en Espagne et ailleurs a, lui, suscité moins de commentaires. Pendant que l’Union soviétique armait les Républicains espagnols, Hitler et Mussolini envoyèrent en Espagne plus de 90 000 soldats armés et entraînés. L’aviation allemande fut elle aussi responsable de véritables massacres, comme le bombardement du village de Guernica immortalisé par Picasso. Suite à quoi, le 27 février 1939, le gouvernement britannique enterra définitivement la République espagnole en reconnaissant officiellement le régime de Franco. Hitler et Mussolini venaient de sécuriser leur flanc ouest en s’assurant la neutralité de l’Espagne dans la guerre à venir. La lutte contre le communisme se poursuivant à l’échelle de l’Europe avec les tentatives répétées d’invasion de l’URSS par Hitler, qui échouèrent toutes mais au prix d’un nombre considérable de victimes, le dictateur Franco retourna la politesse aux puissances de l’Axe en envoyant sa Division Bleue combattre aux côtés de la Wehrmacht sur le front russe.
Après la Seconde Guerre mondiale, les ennemis communistes internes en Europe de l’Ouest étaient communément appelés « cinquièmes colonnes ». Ce terme désignait à l’origine les armées secrètes fascistes de la guerre civile espagnole et fut utilisé pour la première fois par le général franquiste Emilio Mola. Comme en octobre 1936, trois mois après le coup d’État, Madrid était toujours tenue par les Républicains et les Brigades Internationales, Franco ordonna à Mola de prendre la capitale en combinant ruse et force brute. Quelques heures avant l’assaut, Mola, dans une opération de manipulation devenue légendaire, annonça à la presse qu’il disposait de 4 colonnes en attente à l’extérieur de la ville mais qu’une « cinquième colonne » de partisans de Franco était déjà postée dans l’enceinte de la ville. Ne portant ni uniforme ni insigne et évoluant parmi les ennemis comme un poisson dans l’eau, les membres de cette « cinquième colonne » infiltrée étaient, selon Mola, les plus redoutables de tous.
La stratégie porta ses fruits en répandant la peur et la confusion parmi les communistes et les socialistes défendant la capitale. « La police a entrepris hier soir une fouille systématique de tous les immeubles de Madrid, à la recherche de rebelles[franquistes] », rapporta le New York Times le lendemain de la déclaration de Mola. Les ordres ont « apparemment été donnés suite à une récente annonce du général Emilio Mola sur la station de radio des rebelles. Il a affirmé qu’il comptait sur 4 colonnes de troupes postées hors de la ville et sur une cinquième attendant leur entrée, cachée dans l’enceinte de la capitale. » Bien que l’assaut commandé par Mola fut un échec, la crainte de la fameuse cinquième colonne de combattants d’extrême droite subsista pendant toute la durée de la guerre. Mike Economides, un commandant chypriote des Brigades Internationales, avait l’habitude d’informer chaque nouvelle recrue que la guerre en Espagne se menait sur deux fronts : « l’ennemi devant et la cinquième colonne derrière » .
Le terme « cinquième colonne » survécut à la guerre civile espagnole et servit dès lors à désigner des armées secrètes ou des groupes de subversion armés qui opèrent clandestinement à l’intérieur de la zone d’influence de l’ennemi. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Hitler mit en place des cinquièmes colonnes nazies chargées de préparer le terrain, en Norvège et ailleurs, pour faciliter l’invasion du pays par l’armée régulière allemande. Après la défaite de l’Allemagne, le bloc de l’Ouest et l’OTAN s’approprièrent l’expression qu’ils adaptèrent au contexte de la guerre froide et le terme « cinquième colonne » fut employé pour désigner les armées secrètes communistes. Rapidement, les spécialistes des opérations de guerre clandestine dénoncèrent « la promptitude du "monde libre" à laisser pulluler sur son territoire les cinquièmes colonnes communistes ». Ce n’est qu’en 1990 que l’on comprit que le plus grand réseau de cinquièmes colonnes de l’histoire était probablement le réseau stay-behind de l’OTAN.
Franco dirigea l’Espagne d’une main de fer. De 1936 à sa mort en 1975, aucune élection libre ne fut organisée dans le pays. Entre les arrestations arbitraires, les simulacres de procès, la torture et les assassinats, le danger de voir les communistes ou les socialistes gagner de l’influence restait minime. C’est pourquoi quand Calvo Sotelo, qui avait été Premier ministre entre février 1981 et décembre 1982, fut interrogé sur l’existence de Gladio en Espagne, il répondit avec une ironie mêlée d’amertume que, sous la dictature de Franco « le Gladio, c’était le gouvernement ». Alberto Oliart, ministre de la Défense du gouvernement Sotelo, fit une remarque similaire en qualifiant de « puéril » le fait de se demander si l’Espagne franquiste avait elle aussi abrité une armée secrète d’extrême droite étant donné qu’« ici, Gladio était le gouvernement ».
Dans le contexte de la Guerre froide, Washington ne se rallia pas immédiatement au criminel Franco. Bien au contraire, après la mort de Hitler et de Mussolini, certains au sein de l’OSS considéraient que renverser le Caudillo était logiquement la prochaine étape du combat antifasciste. Ainsi, en 1947, alors que la CIA venait d’être créée, l’OSS lança l’« Opération Banana ». Dans le but de renverser le régime franquiste, des anarchistes catalans reçurent des armes et débarquèrent sur les côtes de la péninsule. Il semble cependant qu’il n’y ait pas eu de véritable consensus parmi les Anglo-Saxons autour de la nécessité politique de se débarrasser de Franco que certains à Londres et à Washington considéraient comme un atout majeur. Au final, le MI6 britannique informa les services secrets espagnols de l’Opération Banana. Les rebelles furent arrêtés et le « contre-coup d’État » échoua.
L’amiral Carrero Blanco (membre de l’Opus Dei et officier de liaison du Gladio) prête serment sur la Bible au pied du crucifix avec son gouvernement devant le caudillo Franco
En 1953, Franco consolida sa position sur la scène internationale en scellant avec Washington un pacte permettant aux États-Unis de stationner des missiles, des troupes, des avions et des antennes SIGINT (Signals Intelligence) sur le territoire espagnol. En contrepartie, les États-uniens veillèrent à ce que l’Espagne franquiste surmonte son isolation internationale en devenant, contre l’avis de nombreux pays, à commencer par l’URSS, membre de l’Organisation des Nations Unies en 1955. En signe de soutien au « rempart contre le communisme », que constituait l’Espagne, le secrétaire d’État John Foster Dulles, le propre frère du directeur de la CIA Allen Dulles, rencontra Franco en décembre 1957 et l’homme de confiance du Caudillo, l’officier de Marine Carrero Blanco, prit soin de cultiver les liens entre la dictature espagnole et la CIA. À la fin des années cinquante, « les relations s’étaient renforcées, faisant de l’appareil du renseignement de Franco l’un des meilleurs alliés de la CIA en Europe ».
À l’instar d’autres dictateurs d’Amérique Latine, Franco était devenu l’allié de Washington. Derrière les portes verrouillées d’un bureau de liaison politique situé dans les étages supérieurs de l’ambassade des États-Unis à Madrid, le chef de l’antenne locale de la CIA et son équipe d’action clandestine suivaient de près et façonnaient l’évolution de la vie politique en Espagne. Adoptant le comportement typique des oligarques, Franco s’enrichit et s’assura la maîtrise du pouvoir en bâtissant une hiérarchie basée sur les privilèges et la corruption. Il autorisait ses plus proches collaborateurs à tirer d’énormes bénéfices d’affaires douteuses, lesquels en faisaient profiter leurs officiers subordonnés, et ainsi de suite… Toute la structure du pouvoir militaire était cooptée par le Caudillo et dépendait de lui pour sa survie.
Dans ce contexte, l’armée et les services secrets prospérèrent hors de tout contrôle et se livrèrent aux trafics d’armes et de stupéfiants, à la torture, au terrorisme autant qu’au contre-terrorisme. Curiosité constitutionnelle : sous la dictature de Franco, l’Espagne n’était pas dotée d’un mais de trois ministères de la Défense, pour l’armée de Terre, l’armée de l’Air et la Marine. Chacun de ces trois ministères disposait de son propre service de renseignement : Segunda Seccion Bis pour l’armée de Terre, Segunda Seccion Bis pour l’armée de l’Air et Servicio Informacion Naval (SEIN) pour la Marine. De surcroît, l’État-major espagnol (Alto Estado Mayor, AEM), commandé directement par Franco lui-même, avait également son service secret, le SAIEM (Servicio de Informacion del Alto Estado Mayor). Pour couronner le tout, le ministère de l’Intérieur dirigeait lui aussi deux services : la Direccion General de Seguridad (DGS) et la Guardia Civil.
En 1990, on découvrit que des agents des services secrets espagnols avaient co-dirigé avec la CIA une cellule du Gladio espagnol à Las Palmas aux Canaries. La base aurait été construite dès 1948 et opérationnelle pendant les années soixante et soixante-dix. Des agents du service de renseignement de l’armée de Terre, auraient été très fortement impliqués dans le réseau secret stay-behind. André Moyen, qui fut membre du SDRA, le renseignement militaire belge, de 1938 à 1952, affirma que le Segundo Bis était toujours « très bien informé au sujet de Gladio ». L’historien français Roger Faligot confirma ses dires et souligna que, dans les années cinquante, l’armée secrète espagnole avait été dirigée par le consul des Pays-Bas Herman Laatsman, lui-même « très proche, tout comme sa femme, d’André Moyen ». Une seconde confirmation vint d’Italie où le colonel Alberto Vollo témoigna en 1990 que, « dans les années soixante et soixante-dix, il y avait bien à Las Palmas, aux Canaries, un centre d’entraînement Gladio commandé par des instructeurs américains. Sur le même site, il y avait également des installations SIGINT américaines. »
André Moyen accepta de répondre aux questions du journal communiste belge Drapeau Rouge. La Guerre froide touchant à sa fin, Moyen confirma à ses anciens ennemis que, durant des années de service actif, il avait directement participé à l’Opération Gladio et à des missions secrètes contre les partis communistes de nombreux pays. L’ancien agent raconta combien il avait été surpris que les services secrets espagnols n’aient pas fait l’objet d’une enquête plus approfondie car il savait de source sûre qu’ils avaient joué « un rôle crucial dans le recrutement des agents du Gladio. » [15] D’après son témoignage, le ministre de l’Intérieur belge Vleeschauwer l’avait envoyé rencontrer son homologue italien en septembre 1945, le ministre de l’Intérieur Mario Scelba, avec pour mission d’élaborer des stratégies pour empêcher les communistes d’accéder au pouvoir. Par la suite, la France avait manifesté le même intérêt, son ministre de l’Intérieur Jules Moch avait mis Moyen en relation avec le directeur du SDECE, Henri Ribière. L’ancien agent du SDRA prétendit avoir également rencontré, au cours des années cinquante, dans la plus grande discrétion, des officiers militaires hauts gradés de la Suisse neutre.
Moyen déclara que ses premiers contacts avec la branche espagnole du réseau Gladio remontaient à octobre 1948 à l’époque où « une cellule du réseau opérait à Las Palmas », aux Canaries. Officiellement, il avait été envoyé dans l’archipel afin d’enquêter sur une fraude impliquant du carburant transporté par bateau depuis la Belgique jusqu’au Congo via les Canaries. « La fraude », témoigna Moyen, « profitait aux représentants des plus hautes autorités espagnoles, et nous avons également mis au jour un important trafic de drogues ». Quand l’existence de ce trafic fut révélée par la Belgique, le dictateur Franco envoya « deux agents du Buro Segundo Bis » de l’état-major qui devaient apporter leur concours à l’enquête. « Ces hommes étaient très bien informés, ils me furent d’un grand secours », se souvient Moyen, « on parlait d’un tas de choses et j’eus l’occasion de constater combien ils étaient très au fait du réseau Gladio ».
En 1968, Franco dut lui aussi faire face au mouvement international de révolte des étudiants. Redoutant des manifestations en masse, le ministre de l’Éducation espagnol demanda au chef du SIAEM, le général Martos, de monter des opérations secrètes contre les universités. L’amiral Carrero Blanco, très proche de la CIA, créa en 1968 une nouvelle unité spéciale pour la guerre secrète au sein du SIAEM baptisée OCN dont la cible était les étudiants, leurs professeurs et l’ensemble du mouvement révolutionnaire social. Après les succès de plusieurs opérations, Carrero Blanco décida en mars 1972 de transformer la subdivision OCN du SIAEM en un nouveau service secret, le SECED (Servicio Central de Documentacion de la Presidencia del Gobierno), qu’il plaça sous le commandement de Jose Ignacio San Martin Lopez, qui dirigeait déjà l’OCN depuis 1968. Selon l’auteur spécialiste du Gladio Pietro Cedomi, le SECED entretenait des liens très étroits avec l’armée stay-behind espagnole, de nombreux agents étant membres des deux organisations à la fois, et l’armée secrète participa à la violente répression qui s’abattit sur les étudiants et les enseignants contestataires.
Le lieutenant-colonel SS Otto Sorkzeny s’est forgé une réputation de spécialistes des opérations commandos durant la Seconde Guerre mondiale. Il parvint notamment à organiser l’évasion de Benito Mussolini (Opération Eiche). Durant la Guerre froide, il créée la société de mercenaires Paladin Group, basée en Espagne. Il mène des opérations secrètes pour le Gladio et pour divers clients, dont les colonels grecs, le régime d’apartheid d’Afrique du Sud, le colonel Kadhafi, ou le SDECE français de Jacques Foccard. Il travaille aussi pour des multinationales comme Cadbury Schweppes ou Rheinmetall.
Durant la Guerre froide, la dictature de Franco offrit un refuge à de nombreux terroristes d’extrême droite qui avaient pris part à la guerre secrète contre le communisme en Europe de l’Ouest. En janvier 1984, l’extrémiste italien Marco Pozzan, membre de l’organisation Ordine Nuovo, révéla au juge Felice Casson, le magistrat qui découvrit l’existence des armées secrètes, qu’une véritable colonie de fascistes italiens s’était établie en Espagne durant les dernières années du régime franquiste. Plus de 100 conspirateurs avaient fui l’Italie suite à l’échec en décembre 1970 du coup d’État néo-fasciste du Prince Valerio Borghèse. Les partisans de l’extrême droite, y compris Borghèse lui-même mais aussi Carlo Cicuttini et Mario Ricci, s’étaient regroupés en Espagne sous la houlette du terroriste de renommé internationale Stefano Delle Chiaie dont les hommes avaient occupé le ministère de l’Intérieur lors du putsch avorté.
En Espagne, Delle Chiaie s’était lié avec des fascistes d’autres pays européens, parmi lesquels Otto Skorzeny, un ancien nazi et Yves Guérain-Sérac, un ancien officier de l’OAS proche du Gladio et directeur d’Aginter Press, une agence de presse fictive servant de couverture à la CIA basée au Portugal. Skorzeny était employé par les services secrets de Franco en tant que « consultant en sécurité » et engagea Delle Chiaie afin qu’il traque les opposants de Franco en Espagne et à l’étranger. Celui-ci monta un bon millier d’opérations sanglantes, dont environ 50 assassinats. La guerre secrète en Espagne consista surtout en des meurtres et des actes de terrorisme. Les membres de l’armée secrète de Delle Chiaie, notamment Aldo Tisei, avouèrent plus tard à des magistrats italiens avoir pendant leur exil espagnol pourchassé et tué des militants antifascistes pour le compte des services secrets espagnols.
Stefano Delle Chiaie, fondateur d’ Avanguardia Nazionale, membre de la loge Propaganda Due (P2), responsable de la World Anti-Communist League. Il a perpétré nombre d’assassinats et de tortures dans le cadre de l’Opération Condor en Argentine, Bolivie et Chili.
Marco Pozzan, qui avait lui-même fui l’Espagne au début des années soixante-dix, révéla que « Caccola » — c’est ainsi qu’était surnommé Delle Chiaie — était très bien payé pour les services qu’il rendait en Espagne. « Il effectuait des voyages très coûteux. Toujours en avion, y compris des vols transatlantiques. Caccola recevait presque toujours l’argent des services secrets et de la police espagnole. » Parmi les cibles du fasciste figuraient les terroristes de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna) qui luttaient pour l’indépendance du pays basque. Sur ordre de Caccola, les cellules de l’organisation et leurs groupes de sympathisants furent infiltrés par des agents subversifs. « Nous savons que Caccola et ses hommes ont agi contre les autonomistes basques sur ordre de la police espagnole », rappela Pozzan. « Je me souviens que lors d’une manifestation à Montejurra, Caccola et son groupe ont organisé une bataille entre deux mouvements politiques opposés. Afin que la police espagnole ne puisse être accusée d’interventions d’une violence injustifiée, Caccola et son unité devaient provoquer et instaurer le désordre. Ce jour-là, il y eut même plusieurs morts. C’était en 1976. »
Après la mort de Franco en 1975, Delle Chiaie comprit que l’Espagne n’était plus un endroit sûr et gagna le Chili. Là-bas, il fut recruté par Pinochet, le dictateur installé par la CIA, qui le chargea, dans le cadre de l’« Opération Condor », de pourchasser et de tuer les opposants chiliens sur l’ensemble du continent américain. Caccola se rendit ensuite en Bolivie où il forma des escadrons de la mort et se livra une nouvelle fois à une « violence sans limites ». Né en 1936, Stefano Delle Chiaie demeure le plus connu des terroristes membres des armées secrètes qui combattirent le communisme en Europe et dans le monde pendant la guerre froide. Le fasciste fut le cauchemar des mouvements de gauche du monde entier, mais après avoir fui l’Espagne, il ne revint quasiment plus sur le Vieux Continent, excepté en 1980, où la police italienne le soupçonne d’avoir regagné son pays natal pour y perpétrer les attentats de la gare de Bologne. Le 27 mars 1987, cet intouchable mercenaire fut finalement arrêté à Caracas par les services secrets vénézuéliens, à l’âge de 51 ans. En quelques heures seulement, des agents des services italiens et de la CIA arrivèrent sur les lieux. Cacolla n’exprima aucun regret, mais en quelques mots, il précisa qu’il avait bénéficié dans sa guerre contre la gauche de la protection d’un grand nombre de gouvernements en échange de l’exécution de certaines missions : « Il y a eu des attentats. C’est un fait. Les services secrets ont maquillé les indices. Voilà un autre fait. »
Le 20 décembre 1973, les nationalistes basques d’ETA exécutent l’amiral Carrero Blanco. Sa Dodge Dart GT 3700 blindée, qui saute sur une mine, est propulsée à 35 mètres de hauteur. Il meurt dans le choc de l’écrasement du véhicule.
En juin 1973, sentant sa fin proche, Franco nomma son officier de liaison avec la CIA et grand architecte des services secrets Carrero Blanco au poste de Premier ministre. Cependant, en raison de ses méthodes brutales, Blanco était haï d’une grande majorité de la population et il mourut en décembre de la même année quand sa voiture roula sur une mine de l’ETA. Jusqu’alors considérée comme « folklorique », l’organisation terroriste franco-espagnole ETA devint, suite à l’assassinat du Premier ministre, un dangereux ennemi de l’État.
Suite à la mort de Franco le 20 novembre 1975, la transformation de l’appareil sécuritaire espagnol tant redouté s’avéra difficile. Le SECED (Servicio Central de Documentacion de la Defensa), le plus connu des services secrets du pays, fut rebaptisé CESID (Centro Superior de Informacion de la Defensa). Son premier directeur, le général Jose Maria Burgon Lopez-Doriga, veilla toutefois à ce qu’il soit surtout composé d’anciens agents du SECED. La guerre secrète menée avec la complicité des extrémistes italiens pouvait donc continuer, comme le souligna la presse au moment de la découverte des armées secrètes en 1990 : « Il y a une semaine, le quotidien espagnol El Pais a découvert le dernier lien connu entre l’Espagne et le réseau secret. Carlo Cicuttini, un proche du Gladio, participa activement à l’attentat de la gare d’Atocha, à Madrid, en janvier 1977. » « Puis ce fut l’attaque par un commando d’extrême droite du cabinet d’un avocat proche du parti communiste qui fit cinq morts. L’événement provoqua la panique, (...) car on craignait que ce soit le début d’une nouvelle série d’attentats visant à enrayer le processus de transition démocratique de l’Espagne. »
Le guerrier de l’ombre et terroriste d’extrême droite Cicuttini avait fui vers l’Espagne à bord d’un avion militaire après l’attentat à la bombe de Peteano en 1972. C’est précisément en enquêtant sur cet attentat des années plus tard que le juge Felice Casson parvint à remonter jusqu’au terroriste d’extrême droite Vincenzo Vinciguerra et à l’armée secrète, ce qui entraîna la découverte du réseau européen Gladio. En Espagne, Cicuttini s’était mis au service de la guerre secrète de Franco qui, en contrepartie, le protégeait de la justice italienne. En 1987, celle-ci le condamna à la prison à perpétuité pour son rôle dans l’attentat de Peteano. Mais, signe de l’influence persistante exercée en sous-main par son appareil militaire, l’Espagne, qui était alors redevenue une démocratie, refusa de le livrer aux autorités italiennes sous le prétexte que Cicuttini avait acquis la nationalité espagnole en épousant la fille d’un général. Ce n’est qu’en avril 1998, à l’age de 50 ans, que le terroriste fut finalement arrêté en France et extradé vers l’Italie.
Comme toutes les armées secrètes d’Europe de l’Ouest, le réseau anticommuniste espagnol se trouvait régulièrement en contact étroit avec l’OTAN. En 1990, quand éclata le scandale, le général italien Gerardo Serravalle, qui commanda le Gladio dans son pays de 1971 à 1974, écrivit un livre sur la branche italienne de l’armée secrète de l’OTAN. Il y racontait qu’en 1973 les responsables des armées secrètes de l’Alliance s’étaient rencontrés au CPC à Bruxelles pour une réunion extraordinaire afin de discuter de l’admission de l’Espagne franquiste au sein du Comité. Les services secrets militaires français et la très influente CIA auraient défendu l’admission du réseau espagnol tandis que l’Italie représentée par Serravalle s’y serait opposée, le fait étant connu que le réseau espagnol protégeait alors des terroristes italiens. « Nos autorités politiques se seraient trouvées dans une situation particulièrement délicate devant le Parlement », écrit le général dans son livre, si on avait appris que, non seulement l’Italie entretenait une armée secrète, mais qu’en plus elle collaborait étroitement avec le réseau clandestin espagnol qui lui-même hébergeait et protégeait des terroristes italiens. L’Espagne ne fut donc pas officiellement admise au CPC.
Lors d’une seconde réunion du CPC, qui se tint cette fois à Paris, les représentants des services secrets de Franco furent à nouveau présents. Ils soutinrent que l’Espagne méritait d’intégrer le centre de commandement du Gladio étant donné qu’elle autorisait depuis longtemps les États-Unis à stationner leurs missiles nucléaires sur son sol et leurs vaisseaux de guerre et sous-marins à mouiller dans ses ports sans avoir jamais reçu la moindre contrepartie de la part de l’OTAN. Compte tenu de la barrière naturelle que constituent les Pyrénées et de la distance qui séparait l’Espagne des frontières de l’URSS, il est probable que le développement de capacités de résistance en cas d’occupation n’ait pas été le principal objectif des agents des services secrets espagnols présents ce jour-là. Leur but était plus vraisemblablement de disposer d’un réseau secret opérationnel qui permette de lutter contre les socialistes et les communistes espagnols. « Dans chaque réunion, il y a une “heure de vérité”, il suffit de l’attendre », explique Serravalle. « C’est le moment où les délégués des services secrets, détendus autour d’un verre ou d’un café, sont mieux disposés à parler franchement. À Paris, ce moment est arrivé pendant la pause café. Je me suis approché de l’un des représentants espagnols et j’ai commencé par lui dire que son gouvernement avait peut-être surestimé l’ampleur de la menace venant de l’Est. Je voulais le provoquer. Il a eu l’air très étonné et a reconnu que l’Espagne avait un problème avec les communistes (los rojos). Nous tenions enfin la vérité. »
L’Espagne devint officiellement membre de l’OTAN en 1982 mais le général italien Serravalle a révélé que des contacts officieux avaient été pris bien avant cette date. Selon lui, l’Espagne « n’est pas passée par la porte mais par la fenêtre ». À l’invitation des États-Unis, l’armée secrète espagnole avait par exemple participé à un exercice stay-behind sous le commandement des forces US en Bavière en mars 1973. En outre, il semble que le Gladio espagnol ait également fait partie, sous le nom de code « Red Quantum », du second organe de commandement au sein de l’OTAN, l’ACC. « Quand l’Espagne a adhéré à l’OTAN en 1982, sa structure stay-behind proche du CESID (Centro Superior de Informacion de la Defensa), le successeur du SECED, a rejoint l’ACC », relata Pietro Cedoni, l’auteur spécialiste du Gladio. « Cela a entraîné des conflits au sein du Comité, les Italiens du SISMI [les services secrets militaires] accusaient notamment les Espagnols de soutenir indirectement les néo-fascistes italiens par le biais de leur réseau stay-behind “Red Quantum” ».
On ne peut affirmer avec certitude que les socialistes espagnols du Premier ministre Felipe Gonzalez, qui accéda au pouvoir en 1982, avaient connaissance de ce programme de collaboration avec l’OTAN. En effet, le nouveau gouvernement démocratique se montrait particulièrement méfiant à l’égard du CESID dirigé par le colonel Emilio Alonso Manglano sur lequel il n’exerçait pratiquement aucun contrôle. En août 1983, on apprit que des agents du CESID écoutaient secrètement les conversations des ministres socialistes depuis les sous-sols du siège du gouvernement. Malgré tout le scandale qui s’ensuivit, Manglano parvint à se maintenir à son poste. Quand en 1986, à l’issue d’une remarquable transition démocratique, l’Espagne fut accueillie dans la Communauté Européenne, beaucoup partageaient l’espoir que l’ancien appareil des services secrets était enfin vaincu et passé sous le strict contrôle du gouvernement. Mais ces espoirs, communs à de nombreux pays d’Europe de l’Ouest, furent balayés par la découverte du réseau d’armées stay-behind Gladio.
Alors que la presse commençait à s’intéresser de près aux armées secrètes fin 1990, Carlos Carnero, un communiste siégeant au Parlement Espagnol, soupçonna à juste titre l’Espagne d’avoir été l’une des principales bases du Gladio, abritant des néo-fascistes de nombreux pays bénéficiant de la protection de l’appareil d’État franquiste. Son intuition fut confirmée par Amadeo Martinez, un ancien colonel qui avait été contraint de quitter l’armée espagnole à cause de sa liberté de ton, et qui déclara à la presse en 1990 que l’Espagne avait bien entendu abrité une structure de type Gladio sous le régime de Franco qui s’était notamment livrée, entre autres opérations répréhensibles, à l’espionnage des opposants politiques. La télévision d’État diffusa ensuite un reportage sur Gladio confirmant que des agents du réseau étaient venus s’entraîner en Espagne sous la dictature de Franco. Un officier italien familier des armées secrètes témoignait que des soldats du réseau stay-behind de l’OTAN avaient été formés en Espagne de 1966, si ce n’est plus tôt, jusqu’au milieu des années soixante-dix. L’ancien agent affirmait avoir été lui-même entraîné, ainsi que 50 de ses compagnons d’armes, à la base militaire de Las Palmas, aux Canaries. D’après lui, les instructeurs de Gladio étaient en majorité des États-uniens.
Mais tous n’étaient visiblement pas aussi bien informés. Javier Ruperez, premier ambassadeur espagnol à l’OTAN de juin 1982 à février 1983, affirma à la presse qu’il ignorait tout de Gladio. Alors membre du Partido Popular conservateur et directeur de la Commission de Défense, il déclara : « Je n’ai jamais rien su à ce sujet. Je n’avais pas la moindre idée de ce que j’apprends aujourd’hui en lisant les journaux. » Fernando Moran, qui fut ministre des Affaires étrangères du parti socialiste jusqu’en juillet 1985, témoigna devant les caméras ne rien savoir de Gladio : « Durant mes années au ministère ou à tout autre moment, je n’ai jamais eu vent de la moindre information, indication ou rumeur de l’existence de Gladio ou de quelque chose de ce genre ».
Le parlementaire Antonio Romero, membre du parti d’opposition de la gauche unie (IU), s’intéressa de près à cette mystérieuse affaire et prit contact avec d’anciens agents impliqués. Il acquit la conviction que ce réseau secret avait également opéré en Espagne et avait « agi contre des militants communistes et anarchistes, notamment parmi les mineurs des Asturies et les nationalistes catalans et basques ». Le 15 novembre 1990, Romero demanda donc au gouvernement espagnol du Premier ministre socialiste Felipe Gonzalez et au ministre de la Défense Narcis Serra d’expliquer précisément quel rôle avait joué le pays dans le cadre de l’Opération Gladio et des armées stay-behind de l’OTAN. Le lendemain, Felipe Gonzalez déclara à la presse qu’il n’avait « même pas été envisagé » de confier à l’Espagne un quelconque rôle dans l’Opération Gladio. Mais Romero ne se satisfit pas de cette réponse, il formula donc trois questions précises dont la première était : « En sa qualité de membre de l’Alliance, le gouvernement espagnol a-t-il l’intention de demander à l’OTAN des explications sur les activités et l’existence d’un réseau Gladio ? » La seconde interrogation visait elle aussi l’Alliance Atlantique, Romero souhaitait savoir si l’exécutif espagnol ouvrirait « un débat et une enquête sur les activités de Gladio au niveau des ministres de la Défense, des ministres des Affaires étrangères et des Premiers ministres des pays membres de l’OTAN ». Enfin, le parlementaire demandait si le gouvernement espagnol envisageait la possibilité d’une trahison de l’OTAN dans la mesure où « certains pays alliés ont opéré par l’intermédiaire de Gladio sans que l’Espagne en fût informée au moment de son adhésion au Traité [en 1982] ».
Le caudillo avait prévu de restaurer la monarchie à sa mort et avait choisi le jeune Juan Carlos de de Borbón y Borbón-Dos Sicilias comme futur roi. Cependant, le régime étant devenu anachronique, Washington décida de favoriser l’intégration de l’Espagne dans l’Union européenne en construction et contraignit le jeune roi à conduire la transition démocratique, sous réserve que le pays conserve les bases militaires US et rejoigne l’OTAN.
Le lendemain, les journaux espagnols titraient : « Les services secrets espagnols entretiennent des liens étroits avec l’OTAN. [Le ministre de la Défense] Serra ordonne une enquête sur le réseau Gladio en Espagne. » Dans la fragile démocratie espagnole, le sujet était bien sûr hautement explosif ; en citant des sources anonymes, la presse révéla que des « activistes [de Gladio] avaient été recrutés dans les rangs de l’armée et de l’extrême droite ». Serra se montra très embarrassé et dans sa première réponse aux journalistes il s’empressa de préciser : « Quand nous sommes arrivés au pouvoir en 1982, nous n’avons rien découvert de la sorte », ajoutant « probablement parce que nous n’avons rejoint l’OTAN que très tard, alors que la Guerre froide baissait en intensité ». De surcroît, Serra assura la presse qu’en réponse aux questions formulées par le parlementaire Romero, il avait ordonné qu’une enquête soit ouverte au sein de son propre ministère afin de mettre en lumière de possibles connexions entre l’Espagne et Gladio. Cependant, des sources proches du gouvernement révélèrent aux journalistes que l’enquête interne était plus destinée à masquer les faits qu’à les dévoiler étant donné que son objectif annoncé était de « confirmer que cette organisation spécifique n’avait pas opéré en Espagne ». Détail éloquent, Serra, qui souhaitait avant tout étouffer l’affaire, avait confié l’enquête au CESID, le suspect enquêtait donc sur son propre crime.
Cela ne surprit donc personne quand, le 23 novembre 1990, répondant à la requête de Romero, Narcis Serra annonça au Parlement que, d’après les résultats de l’enquête menée par le CESID, l’Espagne n’avait jamais fait partie du réseau secret Gladio, « que ce soit avant ou depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir ». Sur quoi, le ministre ajouta prudemment : « Il a pu être question de contacts au cours des années soixante-dix, mais il sera très difficile aux services actuels de déterminer la nature exacte de ces contacts ». Serra, qui adoptait un discours de plus en plus vague, et appela les parlementaires à se fier à leur « bon sens » plutôt qu’aux documents, aux témoignages, aux faits et aux chiffres disponibles : « Puisque l’Espagne n’était alors pas membre de l’OTAN, le bon sens nous suggère qu’il ne peut s’agir de liens très étroits ». La presse espagnole ne s’en amusa guère et répliqua que soit le ministre de la Défense faisait de la propagande soit il ne connaissait ni ne contrôlait son propre ministère.
Romero ne jugea pas satisfaisantes les réponses fournies par Serra et insista pour que le directeur du CESID d’alors soit interrogé. « Si le CESID ne sait rien du tout à ce sujet, il faut à tout prix virer le général Manglano », conclut-il devant les journalistes. En effet, Manglano n’était pas seulement le patron du CESID mais également le délégué espagnol auprès de l’OTAN pour les questions de sécurité. Le scandale atteignit son paroxysme lorsque celui-ci refusa purement et simplement de s’exprimer malgré les demandes du Parlement. Furieux, Romero en déduisit donc que visiblement, en Espagne, « les plus hautes autorités militaires sont impliquées dans l’affaire Gladio ».
Constatant l’échec du gouvernement d’alors à faire éclater la vérité, la presse espagnole se tourna vers le plus haut dignitaire retraité de la jeune démocratie et lui demanda s’il en savait plus sur cette mystérieuse affaire. Calvo Sotelo, Premier ministre de février 1981 à décembre 1982, avait nommé Manglano à la tête du CESID, il répondit que Gladio n’existait pas en Espagne : « Je n’ai pas connaissance que quelque chose de ce type ait existé ici et je peux vous assurer que je l’aurais su si ça avait été le cas ». Quand les journalistes insistèrent, rappelant que les armées stay-behind avaient existé dans le plus grand secret dans toute l’Europe de l’Ouest, Sotelo s’emporta, qualifiant le réseau Gladio de « ridicule et criminel » et déclara : « Si on m’avait informé d’un truc aussi dingue, j’aurais immédiatement réagi ».
L’ex-Premier ministre confirma que quand l’Espagne avait fait ses premiers pas dans la démocratie suite à la mort de Franco, on avait redouté la réaction du parti communiste Espagnol. Mais « les faibles résultats obtenus par le PCE au cours des premières élections et ceux encore plus dérisoires qu’il obtint lors des scrutins suivants avaient apaisé nos craintes ». Sotelo avait été l’un des principaux partisans de l’adhésion à l’OTAN. Mais à la presse il affirma qu’au moment de rejoindre l’Alliance, l’Espagne n’avait pas été informée par écrit de l’existence d’un réseau Gladio clandestin : « Il n’y a eu aucune correspondance écrite sur ce sujet », avant d’ajouter de manière assez absconse : « Et de ce fait il n’y avait pas non plus lieu d’en parler, si tant est que ce fût le genre de sujet dont on pût parler ». Sotelo expliqua qu’il n’avait assisté, avant la signature du Traité par l’Espagne en mai 1982, qu’à quelques rencontres avec les représentants de l’OTAN, et rappela qu’à la fin de la même année, le PSOE était arrivé au pouvoir et qu’il avait dû céder son fauteuil de Premier ministre à Felipe Gonzalez. Les autorités espagnoles n’ordonnèrent finalement ni enquête parlementaire ni rapport public sur l’affaire Gladio.
(Enviado por um Amigo)
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