M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés,
Aux premières
heures du 21 août, à quelques kilomètres du centre de Damas, près de 1.500
civils, dont des centaines d'enfants, sont morts asphyxiés dans leur sommeil.
Assassinés par le régime syrien dans ce qui constitue, en ce début de siècle,
le plus massif et le plus terrifiant usage de l'arme chimique.
Ces faits,
chacun d'entre nous a pu les découvrir, presque immédiatement après ce drame,
sur des dizaines de vidéos. Des vidéos tournées par des médecins, des voisins,
des parents, à la fois terrifiés et conscients du devoir d'informer le monde
sur l'horreur de ce qui venait de se produire.
Chacun d'entre
nous a pu voir les images abominables de l'agonie des victimes, de ces cadavres
d'enfants alignés. Sur ces cadavres, pas une goutte de sang, pas une blessure.
Juste la mort silencieuse par l'emploi des gaz, dont plus personne ne nie
qu'ils aient été utilisés cette nuit-là.
Au-delà de ces
images terrifiantes, de quoi sommes-nous certains ? C'est pour en informer la
représentation nationale que j'ai réuni, ce lundi, avec les ministres des
affaires étrangères, de la défense et des relations avec le Parlement, les
présidents des deux chambres, des commissions compétentes et des groupes
politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le gouvernement en est convaincu
: la gravité du moment exige transparence et dialogue républicain.
Nous sommes
certains de l'ampleur du bilan, qui pourrait atteindre jusqu'à 1.500 victimes.
Des évaluations indépendantes, comme celle de Médecins sans Frontières, le
confirment. En analysant des vidéos, que nous avons authentifiées, nos propres
services sont parvenus au constat que toutes les victimes étaient localisées
dans des quartiers contrôlés par l'opposition. Tous les symptômes observés sont cohérents avec une
intoxication aux agents chimiques. Des éléments, en notre possession, comme en
celle de nos alliés, indiquent que du gaz sarin a été utilisé.
Nous sommes certains que la Syrie dispose de l'un des
stocks d'armes chimiques les plus importants au monde : plus de mille tonnes d'agents
chimiques de guerre et des dizaines de vecteurs.
Nous sommes certains que le régime syrien a déjà
employé l'arme chimique à plusieurs reprises ces derniers mois, à une échelle
beaucoup plus réduite, dans le but de reconquérir des zones tenues par l'opposition
et d'y semer la terreur. Grâce à nos
services, nous avons récupéré et analysé des échantillons qui ont confirmé, à
Saraqeb ou à Jobar, l'emploi de gaz toxiques. Ces éléments ont été
immédiatement transmis aux Nations unies.
Nous sommes
certains que cette attaque s'inscrivait dans le cadre d'une offensive pour la
reconquête d'une zone clé, qui commande l'accès à Damas. Elle avait fait l'objet de
préparatifs dans les jours précédents, incluant des mouvements d'agents
chimiques depuis les principaux points de stockage du régime. Nous sommes aussi
certains que des bombardements intenses, après l'attaque, ont tenté d'en
effacer les traces.
Nous sommes certains enfin que l'opposition n'a pas
les capacités de conduire une opération d'une telle ampleur. Aucun groupe
appartenant à l'insurrection ne dispose des quantités d'agents chimiques
nécessaires, des vecteurs ou des compétences pour mener à bien une telle
attaque.
Mesdames et Messieurs les Députés, c'est donc une
certitude : il y a bien eu une attaque chimique massive le 21 août, dans la
plaine de la Ghouta. Le régime
syrien en porte l'entière responsabilité.
Cette
certitude, nous la partageons avec nos partenaires américains, britanniques,
allemands, turcs. La Ligue arabe elle-même, l'a confirmé à l'occasion de sa
réunion ministérielle de dimanche dernier en évoquant la responsabilité du
régime. La recherche de cette responsabilité n'entre pas dans la mission des
enquêteurs des Nations unies, comme vous le savez. Ces enquêteurs ne pourront
donc que confirmer l'usage de l'arme chimique.
Mesdames et
Messieurs les Députés, face à ces faits incontestables, que choisir ? L'action
ou la résignation ? Pouvons-nous nous contenter de condamner, d'en appeler à un
sursaut de la communauté internationale pour que s'ouvrent enfin des
négociations de paix qui ne viennent pas ?
À ces
questions, le président de la République a apporté une réponse claire et conforme
à la mobilisation de la France, depuis le début de la crise syrienne. La France
a été la première à reconnaître la coalition nationale syrienne, à lui apporter
son appui, à répondre à l'urgence humanitaire, à promouvoir une solution
politique. Sans relâche, nous avons multiplié les contacts pour chercher des
solutions à cette tragédie, avec nos partenaires européens, nos alliés, les
pays de la région, la Russie ou la Chine.
Ne pas réagir,
ce serait tolérer que demeure impuni un recours massif à l'arme chimique. Ne
pas réagir, ce serait adresser à Bachar Al-Assad et au peuple syrien un message
terrible : l'arme chimique peut être utilisée à nouveau demain, contre Damas,
contre Alep, de façon peut-être encore plus massive.
Ne pas réagir,
ce serait mettre en danger la paix et la sécurité de la région tout entière,
mais aussi, au-delà, notre propre sécurité. Car - je pose la question - quelle
crédibilité auraient ensuite nos engagements internationaux contre la
prolifération des armes de destruction massive, y compris l'arme nucléaire ?
Quel message enverrions-nous à d'autres régimes - je pense, comme vous, à
l'Iran ou à la Corée du Nord ? Ce message serait malheureusement clair : «Vous
pouvez continuer ; la possession de ces armes vous confère l'impunité ; la
division de la communauté internationale vous protège».
Ne pas réagir,
ce serait enfin fermer la porte à un règlement politique du conflit syrien.
Oui, Mesdames et Messieurs les Députés, la solution à la crise syrienne sera
politique et non militaire. Mais regardons la réalité en face : si nous ne
mettons pas un coup d'arrêt à de tels agissements du régime, il n'y aura pas de
solution politique ! Car quel serait l'intérêt pour le dictateur syrien, M.
Bachar Al-Assad, de négocier, tant qu'il croit pouvoir, comme il l'a encore
répété au début de la semaine, «liquider» son opposition - ce sont ses propres
termes, ils sont terribles -, notamment au moyen d'armes qui sèment la terreur
et la mort ?
Pour toutes ces raisons, le président de la République
a fait le choix courageux de l'action. Le choix d'une action légitime, d'une
action collective, d'une action réfléchie. Légitime d'abord, car le régime
syrien a massivement violé ses obligations internationales. En employant l'arme chimique, Bachar Al-Assad a violé
ses obligations au titre du protocole de 1925, qui en prohibe l'usage, et que
la Syrie a ratifié en 1968. Il a bafoué le droit international humanitaire en
menant des attaques indiscriminées, interdites par les conventions de Genève.
Il s'est rendu coupable d'un crime de guerre. Il a commis ce que le Secrétaire
général des Nations unies a qualifié de crime contre l'humanité.
En plus de ces
violations, le régime syrien a refusé constamment de coopérer avec la
communauté internationale. En empêchant l'accès de la Commission d'enquête
internationale sur les droits de l'Homme. En s'opposant, pendant cinq mois, à
la présence des inspecteurs sur les armes chimiques. En écartant les
différentes tentatives de cessez-le-feu. En multipliant les obstacles à l'action
humanitaire.
Bien sûr, une
autorisation explicite du Conseil de sécurité serait souhaitable. Mais,
Mesdames et Messieurs les Députés, regardons la réalité en face : depuis deux
ans et demi, la Russie et la Chine ont bloqué toute réponse à la tragédie syrienne,
y compris en opposant, à trois reprises, leur veto. La tentative de la France,
il y a une semaine, d'un projet de résolution autorisant une riposte ferme à
l'attaque chimique du 21 août, a elle aussi été stoppée net. C'est
malheureusement la réalité. La gravité de la menace, associée à l'emploi de
l'arme chimique, nous oblige à agir.
L'action que nous envisageons est réfléchie et
collective. Le président de
la République l'a indiqué : elle devra être «ferme et proportionnée».
Ponctuelle, elle devra viser des objectifs significatifs, mais ciblés. Il n'est
pas question, il ne sera pas question d'envoyer des troupes au sol, d'engager
des opérations militaires pour renverser le régime.
Bien entendu,
nous souhaitons le départ de Bachar Al-Assad, qui n'hésite pas à menacer
directement notre pays et croit même pouvoir, Mesdames et Messieurs les
Députés, intimider la représentation nationale. Oui, nous souhaitons son
départ, dans le cadre d'une solution politique en faveur de laquelle la France
continuera à prendre l'initiative.
Notre message est clair : l'emploi d'armes chimiques
est inacceptable. Nous voulons à
la fois sanctionner et dissuader, répondre à cette atrocité pour éviter qu'elle
ne se reproduise. Nous voulons aussi montrer à Bachar Al-Assad qu'il n'a pas
d'autres solutions que celle de la négociation.
Certains nous disent qu'une réaction compliquerait
encore la situation. Mais, là aussi,
j'en appelle à votre lucidité. La déstabilisation des pays de la région, qui
font face à l'afflux de plus de deux millions de réfugiés, est aussi une
réalité. L'inaction face aux souffrances du peuple syrien fait le lit des
extrémistes. Ne pas laisser impunis les crimes du régime syrien, c'est au
contraire le moyen pour nos démocraties de conforter, comme il le faut, l'opposition
syrienne modérée.
C'est ainsi que
nous serons fidèles à nos valeurs, sur lesquelles se fonde l'engagement de la
France dans le monde. La France a en effet une responsabilité particulière.
C'est une chance, mais c'est aussi une exigence, qui contribuent à la grandeur
de notre pays. Mesdames et Messieurs les Députés, c'est pour ces raisons que
nous devons être unis pour rester fidèles à cette vocation.
La France
n'agira pas seule. Elle joindra ses efforts à ceux d'autres partenaires, à
commencer par les États-Unis, avec lesquels elle s'est toujours retrouvée dans
les moments critiques quand la cause était juste.
Nous comptons
également sur le soutien des Européens et des pays de la région, notamment au
sein de la Ligue arabe. Le président de la République poursuit son travail de conviction afin de
réunir la coalition de soutiens la plus large possible. La réunion du G20 à
Saint-Pétersbourg en sera l'occasion.
Monsieur le
Président, Mesdames et Messieurs les Députés, l'année prochaine, nous commémorerons
le centenaire du début de la Première guerre mondiale, qui a été marquée par la
première utilisation massive de gaz toxiques comme arme de combat. Un siècle plus tard, alors que
les armes chimiques ont été bannies par le droit international, nous ne pouvons
accepter un épouvantable retour en arrière. C'est cela, la
vocation et la responsabilité de la France. Dans ces circonstances graves, il
importe que la représentation nationale soit éclairée. C'est pourquoi je
m'engage à continuer à vous informer dans les prochains jours sur l'évolution
de la situation, dans le respect des équilibres institutionnels découlant de
notre Constitution. En toute hypothèse, la décision ultime ne pourra être prise
par le président de la République que lorsque sera constituée la coalition,
seule à même de créer les conditions d'une action.
Face à la
barbarie, la passivité ne peut pas être une option. Pas pour la France en tout
cas. Ne pas réagir, c'est laisser Bachar Al-Assad poursuivre ses atrocités,
encourager la prolifération et l'emploi d'armes de destruction massive,
abandonner la Syrie et la région tout entière au chaos et céder aux menaces -
je dis bien, aux menaces.
Avec ses
partenaires, la France prendra donc toutes ses responsabilités. C'est son honneur et son devoir.
(Interventions des députés)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés,
Je voudrais
répondre à deux questions majeures qui ont été abordées au cours de ce débat.
La première est
la suivante : sommes-nous sûrs que l'attaque du 21 août est chimique ? Oui,
elle est chimique. Peu importe la nature de l'agent chimique employé - même si,
comme le président de la République l'a indiqué, plusieurs éléments nous
montrent, à nous et à nos partenaires, que du sarin a été utilisé. Tous les
éléments déclassifiés, par nos services comme par ceux de nos partenaires,
démontrent avec force l'utilisation d'armes chimiques pendant l'attaque, qu'il
s'agisse de sarin, de l'ypérite, du VX, ou d'autres produits comme des
incapacitants civils déployés à haute dose, voire des cocktails - c'est là
l'hypothèse la plus vraisemblable. D'ailleurs, aujourd'hui, personne ne le nie
- pas même Bachar Al-Assad.
À cet égard, je
précise que la mission Sellström de l'Organisation des Nations unies ne dira rien
d'autre que cela, puisque son mandat est de constater l'utilisation d'armes
chimiques - ce que chacun admet aujourd'hui -, et non pas de dire qui a ordonné
l'attaque.
La seconde
question a trait à la responsabilité de Bachar Al-Assad. Sa responsabilité est
engagée pour huit raisons fondamentales et cumulatives, que je vais décliner.
Première
raison, le régime de Bachar Al-Assad a en stock plus de mille tonnes d'agents
chimiques et il a déployé les vecteurs nécessaires à leur utilisation. Il les a
utilisés, rappelez-vous, lors des événements d'avril à Saraqeb et Jobar. Nous
avions pu indiquer alors, grâce à des échantillons communiqués ensuite aux
Nations unies, qu'il s'agissait de gaz sarin.
Deuxièmement,
nous avons des éléments qui montrent que des préparatifs spécifiques ont été
conduits par le régime dans les jours précédant le 21 août. Par préparatifs
spécifiques, j'entends des éléments destinés à une intervention chimique.
Troisièmement, la
reconstitution de la séquence militaire de l'attaque du 21 août, que le Premier
ministre a communiquée à vos représentants lundi soir, montre que les nombreux
tirs sont partis des quartiers contrôlés par le régime vers les quartiers de la
Ghouta est, aux mains de l'opposition.
Quatrièmement,
la séquence opérationnelle et la complexité de l'attaque, dont à mon avis on ne
parle pas assez, révèlent une opération militaire parfaitement coordonnée,
conformément aux tactiques de l'état-major syrien. Avant l'attaque chimique, il
y a eu une préparation aérienne et d'artillerie. Parallèlement à ces actions
militaires était conduite l'attaque chimique, à partir de trois heures du
matin. Ensuite, sur les mêmes sites, une offensive terrestre a été lancée, à
partir de six heures. Puis, toujours au même endroit, il y eut à nouveau des
bombardements aériens et d'artillerie intenses. Donc, il y a là une cohérence
technique, un exercice militaire de grande ampleur et bien coordonné.
Cinquièmement, le régime a tout fait ensuite pour
détruire les preuves de son implication dans cette opération, soit en
bombardant les sites déjà touchés, soit en provoquant des incendies pour
éliminer les traces et faire évaporer les gaz.
Sixièmement, l'ampleur de l'attaque chimique est telle
et les cibles si nombreuses que seul le régime avait les moyens de s'engager
dans une telle intervention.
Septièmement,
ni nous, ni nos partenaires, ni nos services respectifs, n'avons jamais eu la
moindre preuve de possession - et encore moins d'emploi - d'agents chimiques
par l'opposition syrienne, a fortiori dans de telles quantités.
Huitièmement,
l'attaque menée a un grand sens stratégique pour le régime de Damas, puisqu'il
était soumis à une offensive imminente de l'opposition dans des quartiers
sensibles, notamment à Ghouta est et Ghouta ouest, où se trouvent les deux
aéroports de Damas.
Oui, Mesdames
et Messieurs les Députés, c'est une attaque massive, qui a tué des centaines de
civils, et qui a été engagée par un régime poursuivant son oeuvre de terreur et
de liquidation de son peuple - comme Bachar Al-Assad l'a dit dans une interview
récente.
J'en viens aux
objectifs politico-militaires de l'intervention. M. Borloo a fait référence à
un concept tactique de zones d'exclusion aérienne, voire de corridor
humanitaire. Je voudrais lui dire que, pour prendre une telle initiative, il
faut disposer d'une très grande quantité d'avions, dans la durée. Cela
reviendrait à s'engager dans une action de guerre sur le long terme, sans pour
autant régler le problème de l'utilisation de l'arme chimique. Cela marquerait
le début d'un conflit et d'une guerre de longue durée. Je me permets de lui faire
cette observation d'ordre strictement militaire. Je le dis sans aucune
agressivité, avec la seule volonté d'éclairer la représentation nationale.
Je voudrais également lui dire que nous partageons sa
préoccupation concernant le Liban. Aujourd'hui, ce pays subit de plein fouet
les conséquences de la crise syrienne, à la fois sur le plan humanitaire et
sécuritaire, comme en témoignent l'afflux des réfugiés et la multiplication des
incidents sécuritaires à l'intérieur du pays ou aux frontières, à Tripoli et
dans la vallée de la Bekaa. Nous aussi,
nous sommes très attachés à la souveraineté du Liban. Nous soutenons la
politique de distanciation - c'est le terme utilisé par le président Sleimane -
et appelons toutes les forces politiques à s'y conformer.
D'ailleurs, je
voudrais rappeler à M. Borloo qu'il y a eu, le 10 juillet dernier, à
l'initiative de la France, une déclaration unanime du Conseil de sécurité
soulignant cet impératif de distanciation du Liban et de garantie de son
identité politique. Ceci étant dit, nous partageons la préoccupation
sécuritaire, et vous imaginez bien que nous avons déjà pris des dispositions
pour assurer la sécurité de nos ressortissants et des forces françaises au sud
Liban.
S'agissant des
objectifs politico-militaires, je voudrais ajouter ceci : ces objectifs sont
parfaitement clairs et circonscrits.
Comme l'a dit
le président de la République, notre réaction a deux grands objectifs
stratégiques, tous deux liés à la rupture d'un tabou par Bachar Al-Assad :
celui de l'emploi d'armes chimiques contre sa population. Il s'agit, d'une
part, de sanctionner l'emploi d'agents chimiques par Bachar Al-Assad contre les
populations civiles et, d'autre part, de le dissuader de recommencer et de
rétablir l'interdiction d'utilisation d'armes de destruction massive. Ces deux
objectifs doivent permettre de définir une réponse ferme, significative, ciblée
et proportionnée à la violation d'une norme essentielle du droit international.
Ils guident les travaux de planification militaire, qui obéissent notamment à
trois principes : pas d'intervention au sol, une action de rétorsion contre les
capacités syriennes et une limitation stricte des dommages collatéraux. Cette
réponse portera un coup d'arrêt à l'escalade de la violence dans laquelle est
engagée le régime et permettra ainsi de rompre avec une logique d'impunité qui
fait obstacle aujourd'hui à l'indispensable solution politique. Cette réponse,
que je viens de décrire, ne vise pas à renverser le régime syrien mais à
changer la dynamique politique en mettant fin à cette logique d'impunité.
Un régime
persuadé de pouvoir gagner militairement en utilisant des armes de destruction
massive en toute impunité n'a aucune raison de venir négocier une sortie
politique. Dans sa déclaration d'hier au Figaro, Bachar Al-Assad ne dit
d'ailleurs pas autre chose.
Mesdames et
Messieurs les Députés, la France décide pour elle-même, car elle a des
capacités militaires et de renseignement que peu de pays ont. Elle a des
responsabilités spécifiques sur la scène internationale, et une certaine vision
du respect de l'ordre international et de ce qu'on appelle le multilatéralisme
efficace. Elle a aussi des devoirs en matière de sécurité nationale qui lui
donnent la responsabilité d'intervenir.
M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés,
Je voudrais d'abord remercier les orateurs de tous les
groupes et les présidentes des commissions, que j'ai écoutés attentivement.
Comme je m'y suis engagé, le gouvernement est à votre disposition pour vous
informer autant que nécessaire et en temps réel, soit à travers les travaux de
vos commissions, soit à Matignon, soit ici dans l'hémicycle, en organisant
autant de débats qu'il le faudra.
Nous avons
aujourd'hui assisté à un moment important.
Je voudrais
dire au président Jacob qu'on ne peut pas s'éloigner de la responsabilité qui
est la nôtre en cherchant - même si je sais que la situation est difficile et
que nos concitoyens sont inquiets - une forme d'échappatoire qui reviendrait à
renvoyer à d'autres la responsabilité de la France. Je le dis également à M.
Borloo, qui a dit : «M. Poutine attend des preuves !». Comme si lui-même ne
voulait pas les croire, ces preuves ! Oui ou non - et je m'adresse aussi à
Monsieur Chassaigne - sommes-nous d'accord pour constater qu'il y a eu usage
massif de l'arme chimique et que le régime de Bachar Al-Assad en porte la
responsabilité ? C'est à cette question qu'il faut répondre clairement !
Je crois qu'il
faut partir de ce constat. Lundi, nous avons donné suffisamment de preuves,
d'informations, qui sont chaque jour plus nombreuses, et que le ministre de la
défense vient à l'instant de repréciser. Monsieur le Président Bruno Le Roux,
vous avez eu raison de rappeler que la France, grâce à ses services, a ses
propres moyens d'enquêtes, de recherche, d'informations. À cet égard, Mme la
présidente de la Commission de la défense a eu raison de remercier les services
des renseignements extérieurs et ceux du ministère de la défense. Monsieur le
Président Le Roux, vous rappeliez que, lorsque certains affirmaient qu'il y
avait des armes de destruction massive en Irak et que cela justifiait une
intervention au nom de l'intérêt majeur de la paix, c'étaient les mêmes
services qui avaient tenu informés le président Chirac et nous-mêmes. Nous avions la conviction que
ces informations étaient vraies. C'est l'une des raisons pour laquelle nous
n'avons pas voulu nous engager dans une fuite en avant en suivant George Bush
et que nous avons, nous, sans état d'âme et sans hésitation, soutenu la
position du président Chirac.
Monsieur Jacob, vous avez rappelé d'autres moments
importants, et notamment l'intervention en Libye. Nous n'avons pas hésité à considérer que l'engagement
du président Sarkozy était juste, même si l'on peut toujours discuter des
conséquences de cette intervention et de la maîtrise du processus qui a suivi.
Il n'empêche, j'assume. Au nom de mon groupe, j'ai soutenu cette intervention -
elle a commencé avec la déclaration de François Fillon devant l'Assemblée
nationale en mars 2011, mais elle fut plus longue que prévu et n'était toujours
pas terminée en juillet 2011. Et lorsque le gouvernement a demandé, conformément
à l'article 35 de la Constitution, l'autorisation de la prolonger, tous les
députés socialistes - ou du moins la quasi-totalité d'entre eux -, qui étaient
alors dans l'opposition, l'ont votée. Nous l'avons votée, parce que c'était
notre responsabilité.
Mesdames,
Messieurs les Députés, je vous demande, du fond du coeur, de vous rassembler,
parce que la situation est suffisamment grave, et parce que la menace de Bachar
Al-Assad - et notamment cette interview qui nous est parvenue en pleine réunion
lundi - est tellement forte, tellement violente ! Et d'abord contre son peuple,
puisqu'il parle de «liquider» son opposition.
«Liquider» : les mots résonnent ! Au moment où le
président François Hollande et son homologue Joachim Gauck échangent des paroles
fortes sur notre passé commun, il est important de se rappeler le sens de ce
mot. «Liquider» une opposition, «liquider» des adversaires, «liquider» des
civils ! Ce mot est tellement violent qu'il devrait nous pousser à nous réunir
tous ensemble pour condamner - mais concrètement - le régime de Bachar
Al-Assad.
C'est difficile, j'en conviens, Monsieur Jacob,
Monsieur Borloo. Et je remercie
MM. Bruno Le Roux, François de Rugy et Paul Giacobbi d'avoir soutenu le
gouvernement. Je dois cependant apporter certaines précisions. J'ai un
désaccord avec vous, Monsieur Giacobbi, quand vous dites que ce que nous
proposons, c'est la guerre. Non, ce n'est pas la guerre que nous proposons.
Ce que nous
proposons depuis le premier jour, depuis que le président de la République
s'est exprimé, après que nous avons eu confirmation que le régime de Bachar
Al-Assad avait utilisé massivement l'arme chimique, c'est un acte ponctuel, un
acte ciblé, un acte de dissuasion pour dire : «Plus jamais l'arme chimique !» Ce n'est pas la guerre, c'est
cet avertissement indispensable, ce coup d'arrêt qu'il faut porter.
Je le répète :
nous ne sommes pas engagés - et nous ne voulons pas nous engager - dans une
guerre. Monsieur Chassaigne, vous avez créé - peut-être involontairement, et je
ne veux pas vous en faire le procès - une forme de confusion, quand vous avez
laissé entendre - c'est du moins ce que j'ai cru comprendre de vos propos - que
nous voulions nous engager dans la voie de la guerre. Vous avez dit qu'il ne
fallait pas ajouter la guerre à la guerre. Mais il ne s'agit pas d'ajouter la
guerre à la guerre ! Il s'agit - et c'est notre responsabilité - de savoir si
nous voulons mettre un coup d'arrêt à l'usage des armes de destruction massive
et des armes chimiques. Demain, c'est peut-être l'Iran qui en fera usage. Si
nous cédons maintenant, est-ce que nous céderons demain ? C'est la question qui
vous est posée, à vous comme aux autres membres de la représentation nationale.
J'ai conscience que cette question est grave et que certains pensent que nous
sommes à la remorque d'autres pays : j'ai entendu cela dans les propos de M.
Chassaigne, de M. Jacob et de M. Borloo. Mais en quoi sommes-nous suivistes ?
Le président de la République a dit très clairement ce que je viens de
rappeler, à savoir qu'il faut mettre un coup d'arrêt et que cette action, à
laquelle la France est prête, elle ne peut pas la mener seule. Depuis le début,
nous voulons une coalition, à la fois militaire et politique. Le président de
la République y travaille depuis le premier jour et il y travaille encore : il
va profiter de la réunion du G20, au cours de laquelle les dirigeants européens
seront réunis spécialement pour aborder ce problème. Il en sera évidemment
question jeudi soir et nous espérons que les lignes bougeront, que la
conscience des responsables politiques, y compris celle du président russe,
sera au niveau des responsabilités qui sont les nôtres. En tout état de cause -
je tiens à le dire - la France, ne voulant pas agir seule, doit créer les
conditions d'une coalition.
Certains disent
que nous allons suivre les États-Unis, mais en quoi suivons-nous les États-Unis
? Notre position est claire ! Le président Obama veut consulter le Congrès :
c'est son droit et nous n'avons pas à faire de commentaires à ce sujet. Mais il
n'est pas question pour nous de suivre la décision des États-Unis : c'est notre
décision que nous pourrons enfin mettre en oeuvre, parce qu'il est
effectivement nécessaire d'être clair, d'être ferme, et d'agir vite.
S'agissant du vote, chacun a fait référence à la
Constitution, et c'est une bonne chose, car celle-ci a effectivement évolué. Je me souviens - et cela a été rappelé - que plusieurs
députés - j'en étais - avaient demandé que lorsque les forces de la France sont
engagées, le Parlement puisse se prononcer à certains moments. Et je reconnais
que la réforme constitutionnelle qui a complété l'article 35 et introduit
l'article 50-1 a apporté des modifications qui sont des progrès. S'agissant par
exemple du Mali, le président de la République a pris ses responsabilités et
engagé les forces françaises. L'action des forces françaises a été plus longue
que prévu, puisqu'elle a dépassé quatre mois ; vous vous êtes alors prononcé,
et il est important de le rappeler, car cette disposition n'existait pas par le
passé. Nous ne pouvons que nous féliciter qu'elle existe désormais ! C'est un
progrès, alors inscrivons-nous dans ce contexte. Mais je voudrais éclairer sur
un point M. Jacob et tous ceux qui ont posé la question du vote. La première
question qu'il faut poser, ce n'est pas celle du vote ! C'est celle de l'usage d'armes chimiques et de la
responsabilité de Bachar Al-Assad. C'est d'abord à cette question qu'il faut
répondre en toute clarté : c'est cela, le problème de fond !
Mais allons au
bout de la question du vote. Imaginons par exemple que nous ayons exigé, avant
l'intervention au Mali, un vote du Parlement... Jean-Yves Le Drian, Laurent
Fabius et Manuel Valls, qui participent, comme moi, à tous les conseils de
défense, savent très bien que lorsque le président de la République a été
alerté, pas seulement par nos services, qui sont bien informés, il est vrai,
mais aussi par l'appel au secours du président légitime du Mali, le président
Traoré, les forces extrémistes djihadistes étaient aux portes de Bamako et que
c'était une question d'heures. Si un coup d'arrêt n'était pas porté à l'avancée
de ces forces, alors c'est tout le Mali qui était aux mains des extrémistes. Et
si nous avions eu l'obligation de prendre le temps de réunir l'Assemblée
nationale plusieurs jours à l'avance, il aurait été trop tard ! Il faut donc
laisser au président de la République la libre appréciation de décider, non pas
comme un homme seul - comme certains l'ont dit à tort - mais parce qu'il s'agit
des intérêts de la France et de sa capacité à agir. Ensuite, le Parlement est
informé et débat, et si c'est nécessaire, au-delà de quatre mois, il se
prononce par un vote. C'est exactement ce qui s'est passé pour le Mali.
Mais allons plus loin - j'irai jusqu'au bout. On me dit qu'il y a eu des précédents. En réalité, il
y a eu un précédent : je m'en souviens, j'étais présent. Le président François
Mitterrand, au moment de la guerre du Golfe, a demandé à l'Assemblée nationale
de se prononcer, par l'intermédiaire de son Premier ministre, Michel Rocard. Ce
jour-là, le débat n'a pas tourné à un affrontement de politique intérieure ; le
sentiment des intérêts supérieurs de la nation imposait d'agir et la
quasi-totalité de la représentation nationale s'est retrouvée sur cet objectif.
J'en appelle, Mesdames et Messieurs les Députés, au rassemblement de la
représentation nationale ! Et j'espère que
face au régime de Bachar Al-Assad, nous saurons redonner toute sa force au
processus politique qui est indispensable pour trouver une solution de paix
durable ; il faut que s'arrête le massacre d'un peuple, et qu'un coup d'arrêt
soit porté à l'usage des armes chimiques, que le Secrétaire général des Nations
unies a qualifié de crime contre l'humanité.
Mesdames et
Messieurs les Députés, c'est à cette réflexion que je vous appelle, même si
vous n'avez pas à vous prononcer aujourd'hui. Pourquoi cela ? Beaucoup
d'orateurs l'ont rappelé : la France a une responsabilité particulière et je
crois que chacun d'entre nous s'inscrit dans une certaine histoire, dans une
grande histoire. Je lisais ce matin l'interview de l'un de mes prédécesseurs,
M. Édouard Balladur, qui se situait à ce niveau, s'inscrivant dans une grande
tradition qui n'a rien de belliciste ou d'aventurière, mais qui veut que nous
défendions nos valeurs, non seulement par des paroles ou de grandes envolées,
mais aussi, lorsque c'est nécessaire, avec courage et honnêteté, et avec la
volonté de convaincre le peuple français d'assumer ses responsabilités.
Mesdames,
Messieurs les Députés, nous devons assumer nos responsabilités. Et je ne doute
pas - en tout cas je le souhaite - que le moment venu, au-delà des clivages
politiques, qui sont légitimes en démocratie, nous saurons nous rassembler.
Nous rassembler, c'est être plus forts, pour que la voix de la France porte
encore plus et qu'elle soit entendue. Il faut que le dictateur syrien entende
la voix de la France : c'est notre responsabilité !./.
(Source
: site Internet de l'Assemblée nationale)
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