Q - On connaît donc le rapport des experts de l'ONU ;
il y a bien eu l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, notamment du gaz sarin
mais aucun responsable n'est désigné. N'est-ce pas là tout le problème ?
R Non, parce que le contenu du rapport est accablant ;
ce sont les termes d'ailleurs de M. Ban Ki-moon, le Secrétaire général des
Nations unies. D'abord, cela
confirme l'emploi massif de gaz sarin. Ensuite, quand on regarde précisément
les données, les quantités de gaz toxique qui ont été utilisées, la complexité
des mélanges, la nature et la trajectoire des vecteurs, tout cela ne laisse
absolument aucun doute sur l'origine de l'attaque.
Q -
Donc ce que vous nous dites ce soir, c'est que c'est accablant pour le régime
de Bachar Al-Assad quand on lit ce rapport, ce que vous avez fait...
R - Absolument.
Vous vous rappelez ce qu'avaient dit les services de renseignement français -
ce ne sont pas des services étrangers -, ceux-là même qui avaient dit en Irak
qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive et, donc, qu'il ne fallait
pas attaquer. Les mêmes services français ont dit, à partir des renseignements
qu'ils ont recueillis, que, d'une part, il y avait eu attaque massive de gaz
sarin et, d'autre part, que c'était le régime de Bachar.
Q -
Donc ce que vous nous dites ce soir, M. Fabius, c'est que d'une certaine
manière, ce rapport va renforcer la position de la France...
R - Oui et il renforce
la position de ceux qui ont dit que le régime était coupable. Il faut
absolument que les armes chimiques soient liquidées. D'ailleurs, je regardais
cet après-midi un certain nombre de déclarations. Le régime de Bachar lui-même
a fait une interview au Figaro, vous vous rappelez, elle a fait beaucoup de
bruit. Le 2 septembre dernier, Bachar Al-Assad disait «nous n'avons jamais dit
posséder des armes chimiques !». Et le 10 septembre, son ministre dit : nous
voulons adhérer à la convention sur l'interdiction des armes chimiques, nous
sommes prêts à dire où se trouvent nos armes chimiques. Cela montre à quel
point il faut se méfier de tous ces gens qui sont sans foi ni loi.
En ce qui concerne l'attaque du 21 août, les services
français, dès le début, avaient dit ce qui s'est passé et quels sont les
responsables, et le rapport des Nations unies confirme ces informations point
par point.
Q - Demain, vous allez aller avec ce rapport en Russie
; ce n'est pas la lecture de votre homologue russe, évidemment. Pour lui, ce n'est pas le régime d'Assad qui a utilisé
ces armes chimiques et il ne veut surtout pas de recours à la force dans votre
fameuse résolution qui sera présentée à l'ONU. Est-ce que vous êtes prêt à
lâcher un peu du lest sur cette résolution puisqu'on voit bien qu'avec la
Russie, il y aura un veto ?
R - Je ne crois
pas. Je fais mon travail de diplomate - j'étais hier en Chine, aujourd'hui nous
avons reçu avec le président de la République mes collègues américain, anglais
et turc et demain je me rendrai en Russie - et c'est tout à fait normal de
discuter avec les uns et avec les autres. Sur l'origine de l'attaque, on verra
ce que dira M. Lavrov mais il dit, dès le début, que ce n'est pas le régime de
Bachar Al-Assad mais les résistants qui sont les responsables de l'attaque
chimique ; cela n'a absolument aucune vraisemblance ! En ce qui concerne la
résolution des Nations unies, elle a pour but de traduire sur le plan juridique
l'accord passé à Genève sur les armes chimiques.
Q -
Vous n'avez pas la même lecture de cet accord. Votre homologue russe, qui y
était, dit que qu'il n'y a pas l'utilisation de la force en cas de manquement
aux obligations. Il dit que ce n'est pas dans l'accord, que ce ne sera pas dans
la résolution, et que les Russes ne la signeront pas.
R - Nous nous
sommes entretenus ce matin avec John Kerry, qui a négocié avec les Russes et
avec les Anglais, et c'est une simple question de bon sens. Après,
juridiquement on trouvera les formules. À partir du moment où il y a
interdiction des armes chimiques, la Syrie va prendre toute une série
d'engagements. Si ces engagements n'ont pas de traduction concrète et pas de
sanction, les paroles s'envolent. On peut bien sûr discuter de la formule mais
il est évident que si les Syriens violent les engagements qu'ils ont pris, il
faudra des sanctions ; là-dessus, je pense que tout le monde est d'accord. C'est ce qu'on appelle le
chapitre 7.
Q - Votre homologue russe dit qu'il ne souhaite pas
une résolution sous le chapitre 7. Il dit d'ailleurs que c'est «une
incompréhension de ce que nous avons convenu avec John Kerry» et même le refus
de lire le document ! Donc vous voyez bien que vous n'êtes pas du tout sur la
même position. Dans quel état d'esprit vous partez en Russie demain ?
R - Je pense
que si on est de bonne foi, on trouvera un terrain d'accord. Chacun comprend
que lorsqu'il y a un engagement solennel à liquider des armes chimiques, s'il
n'y a pas de conséquences au cas où on ne tiendrait pas ces engagements, cela
n'a pas de sens. Je suis plutôt optimiste. Je pense que nous allons trouver un
terrain d'accord et qu'il y aura une résolution. C'est un pas important et
positif, mais il faut bien voir ce qui va se passer après.
Nous allons, je
l'espère en tout cas, prendre une résolution qui permettra d'interdire les
armes chimiques, mais le problème, c'est que sur le terrain les combats vont
continuer et il faut donc, au-delà de cet accord sur les armes chimiques qui
doit être pris et respecté, que l'on trouve une solution politique. Si dans
deux semaines vous continuez à avoir deux cents ou trois cents morts par jour,
les Syriens vont se dire que nous avons certes traité la question des armes
chimiques, mais que le problème de fond demeure. Donc, au-delà de ce travail
sur les armes chimiques, nous avons un travail à faire et la France y apportera
son écot, pour arriver à une solution politique pour que les combats s'arrêtent
et que l'on trouve une solution.
Q -
Quand vous dites : «pour que les combats s'arrêtent», dans votre idée, c'est
que Bachar doit partir ?
R - Oui, bien
sûr. Il est à l'origine d'une situation qui a provoqué 110.000 morts et
plusieurs millions de personnes déplacées. On ne peut pas imaginer, si on est
sensé, qu'il va rester à la tête de la Syrie pour la nuit des temps. Donc, il faut trouver une
solution politique. Je pense que l'accord entre les Russes et les Américains va
dans la bonne direction et il faut compléter cela - c'est ce qu'on appelle
«Genève 2». Évidemment la France sera active pour rechercher une solution
politique.
Q - Demain, vous partez déterminé pour convaincre les
Russes.
R - Oui, bien sûr, c'est mon travail et on va faire le
maximum pour trouver une solution parce qu'il y a beaucoup de discussions mais
la réalité, c'est que sur le terrain, tous les jours, des centaines de gens
sont tués et c'est cela qu'il faut arrêter./.
L.A.V.
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